Pages sur la chambre

 

2013

Quelques pages sur la chambre

Lokenath Bhattacharya

Lecture et danse

Un exercice d’admiration

«Je ne sais pas un mot de bengali, et je suis allé une seule fois en Inde. Je ne peux donc dire ce que représente la poésie de Lokenath Bhattacharya dans l’univers indien, si vaste et si vieux. Un univers où un buffle qui monte un escalier n’est pas une image de rêve, mais une scène de la vie quotidienne à Bénarès; où l’on caresse des symboles au détour d’une rue, y compris le sexe de l’homme et le sexe de la femme; où la musique est colorée par les heures du jour, pour mieux accompagner le parcours des astres; où les routes sont encombrées par tout ce qui marche et roule, du chameau à l’autocar, au point qu’on s’attend à croiser le Grand Véhicule de la doctrine bouddhiste, et même le petit. Un univers où l’allégorie fait des morts, si l’on en juge par le nombre de camions écrasés l’un contre l’autre.
Ce que je peux dire avec un peu plus de certitude, c’est ce que j’ai éprouvé en découvrant Pages sur la chambre, le premier livre en français de Lokenath Bhattacharya: l’impression immédiate d’entrer dans un espace intime et infini à la fois, dans lequel l’univers se contractait et se dilatait, apparaissait et disparaissait. Une émergence à partir du chaos, une lutte pour l’existence, une étreinte entre les corps, un combat sans merci entre la merveille et les démons, un dialogue impossible entre un sage anonyme et des idiots qui nous ressemblent -et l’impression finale que tant d’énergie, apparemment dépensée en pure perte, avait permis la représentation sans fin du mystère. Si la chambre de Lokenath est un lieu propice à la poésie, c’est que loin d’être un refuge elle est un champ de forces, avec ses portes et ses fenêtres ouvertes à tous les vents, et dans toutes les directions. Depuis, j’ai parcouru cette chambre en tous sens , et j’ai appris que l’architecte de cette forme précaire (dans une prose dont le charme ne cesse pas d’agir en passant d’une langue à l’autre, parce qu’il doit plus à l’esprit qu’à la lettre) est le continuateur et le libre interprète d’une tradition: héritier d’une famille de grammairiens, de sanskritistes, mais amoureux du monde au point de s’éloigner de l’Inde et de traduire Descartes, ou Rimbaud.
 Ce que je peux encore dire, sans grand risque de me tromper, c’est à quel point la présence de Lokenath parmi nous fut bénéfique pour la poésie française, depuis un quart de siècle. Dans un paysage aride ou ingrat, il nous a donné des livres où la poésie semble couler de source, alors qu’on s’habituait à la rareté; une poésie à la fois généreuse et cultivée, sans que cela paraisse contradictoire.
 Il nous a aidé à assumer notre propre tradition, en nous apportant la preuve qu’il pouvait encore exister un souffle sans emphase, et une chair sans vulgarité.»
 Gérard Macé

À l’initiative de Marie-Luce Gorse, conseillère littéraire du Salon de l’Inde des livres de la mairie du XXe à Paris, Annette Leday, chorégraphe et metteur en scène, spécialiste de l’Inde, et Hélène Courvoisier, danseuse contemporaine, créent en novembre 2012 une petite forme associant danse et lectures choisies dans Pages sur la chambre.


Notre hommage ambitionne d’enrichir cette lecture dansée  par  un temps consacré à la rencontre et au dialogue afin d’aller plus avant dans l’exploration de l’univers émotionnel et esthétique de Lokenath Bhattacharya, d’approfondir sa vision poétique d’une grande modernité et les thèmes de prédilection qui la composent.


Dans cette optique, quelques uns des fidèles passeurs des textes de Lokenath Bhattacharya seront invités à redonner voix à cet écrivain, tout à la fois poète, romancier et dramaturge. Ils témoigneront du souffle profondément indien de sa sensibilité et de son questionnement permanent de la langue comme présence au monde et aux choses.